Alain AHOUNOU - Directeur des Systèmes d’Information du Ministère de l’Economie et des Finances (MEF)
Ingénieur Systèmes d’Information, Alain Ahounou a débuté sa carrière en France dans les sociétés de services avant d’évoluer dans l’univers Internet et télécoms en Côte d’Ivoire. Il a ensuite travaillé pendant une quinzaine d’années au service des Nations Unies (PNUD et UNESCO) dans la gestion de projets SI.
Rentré au Bénin en 2017 pour renforcer l’équipe du Ministre de l’Economie et des Finances (MEF), il a conçu et piloté de nombreux projets structurants pour une administration intelligente au Bénin. On peut en citer quelques-uns pour illustrer le travail accompli : - Modernisation du Datacenter du MEF pour accompagner la transformation digitale de l’administration publique - SEMO : Système d’Encadrement des Missions Officielles - SYCOREF : Système de Costing par le Référentiel - E-NOTAIRE : Plateforme de gestion des workflows entre l’ANDF et les notaires - E-SURETES : Plateforme de gestion des suretés mobilières - SECUROUTE : Plateforme de gestion des obligations des véhicules roulants
Le D-Magazine s’est intéressé à ce brillant palmarès et s’est rapproché de Mr Ahounou qui s’est montré très disponible pour partager son expérience.
D-Magazine : Vous avez été pendant 14 ans un Chef Projet à l’UNESCO. Quelles bonnes pratiques pouvez-vous relever à l’attention de vos confrères béninois ?
Je vous remercie de me donner l’opportunité de partager mon expérience. Mais je voudrais vous faire remarquer que je suis moi aussi béninois avant tout. Le métier de chef de projet nécessite de rechercher la bonne alchimie entre les compétences et les relations humaines pour atteindre ses objectifs. Pour cela, il faut être orienté solutions et avoir une forte capacité d’adaptation. En somme, pour être un bon chef de projet, il faut être un leader agile et force de propositions.
D-Magazine : Vous êtes membre du Conseil Nationalité d’Interopérabilité. Parlez-nous du projet X-ROAD qui semble être un élément structurant de la stratégie gouvernementale du numérique et de la digitalisation.
Votre question tombe à point nommé parce qu’avec mes collègues du Conseil National d’Interopérabilité, nous rentrons juste d’un voyage d’études en Estonie. En effet depuis 2016, sous l’impulsion de son Excellence le Président de la République, Patrice TALON, le Gouvernement s’est engagé dans la transformation digitale de l’administration publique. Cette vision, matérialisée par le programme SMARTGOUV dans le Programme d’Actions du Gouvernement a permis la mise en place d’un certain nombre de socles au nombre desquels nous pouvons citer la Plateforme Nationale d’Interopérabilité (PNI), l’Infrastructure Nationale à Clé Publique (PKI), le Datacenter national de Calavi, etc. XROAD, c’est la technologie estonienne que le Bénin a choisie pour assurer l’interopérabilité entre ses différents référentiels. XROAD devrait permettre de ne pas dupliquer les mêmes informations dans plusieurs bases de données et de devoir les maintenir ensuite séparément, ce qui est souvent source d’erreurs et d’incohérences. Comme vous le savez, une donnée toute seule ne veut rien dire. C’est l’interopérabilité entre les registres, donc le croisement des données qui crée de la valeur et facilite la vie aux citoyens. Au-delà des quatre principaux registres que sont le registre des personnes physiques, le registre des entreprises, le registre foncier et le registre des véhicules roulants, le Conseil National d’Interopérabilité a vocation à créer les conditions pour que le partage d’informations à travers XROAD devienne un réflexe, voire une obligation règlementaire. C’est l’un des principaux défis à relever pour que le Bénin devienne véritablement un « Smart Country ».
D-Magazine : Vous êtes Président du Comité de Pilotage du PRSCG II. Parlez[1]nous des objectifs de ce projet au niveau des Communes.
La Banque de développement allemande KfW finance sous forme de don à hauteur de 14.300.000€, la deuxième phase du Programme de Renforcement des Structures Centrales de Gouvernance (PRSCG II) qui s’élève à plus de 20 millions d’euros au total. C’est un projet qui travaille pour une meilleure gestion de l’information au sein de l’administration publique béninoise. L’une des composantes de cette phase II du projet consiste de façon plus spécifique à mettre en place des services et applications au bénéfice de la gouvernance financière dans les collectivités locales. Avec la professionnalisation du personnel administratif des communes, l’idée est de procéder à leur transformation digitale, en partant des renforcements nécessaires au niveau infrastructures jusqu’aux applications métier. Le rêve serait de concevoir un ERP-type pour la gestion des communes béninoises.
‘’ Depuis 02 ans, nous avons mis en place un entrepôt de données à la DGI. Il accueille les données relatives aux factures normalisées, à l’enregistrement des contrats, aux déclarations fiscales, etc. Aujourd’hui nous croisons déjà les données des régies financières pour mettre à disposition des inspecteurs des impôts des tableaux de bord qui répondent à leurs besoins.‘’
D-Magazine : Parlez-nous des trois meilleurs projets que vous ayez conduit à la tête de la DSI du MEF
C’est toujours difficile de choisir entre ses bébés. Mais je vous dirai sans hésiter que l’application Biodatage que nous lançons actuellement et qui fournit un service de vérification d’identité à distance, associé à la géolocalisation et à l’horodatage, aura un impact certain pour les usagers. Elle nous permettra entre autres de dématérialiser les preuves de vie réalisées périodiquement par les pensionnés. Faciliter la vie à nos anciens, ça n’a pas de prix ! Ensuite le projet Securoute que nous avons conduit au Ministère de l’Economie et des Finances avant de le transférer à l’ANaTT est très impactant. J’ai la conviction que ce projet sauvera des vies parce qu’il facilite les contrôles routiers et aura une incidence positive sur la sécurité routière. ; Enfin, j’aimerais citer une activité que j’organise chaque année depuis 2017 à la DSI/MEF ;
c’est notre désormais traditionnel « Team Building et Performance ». C’est la retraite annuelle des informaticiens du MEF. Nous sommes aujourd’hui plus de 150 informaticiens dans le ministère et ma responsabilité est d’animer et de coordonner les activités de toutes ces équipes. Ce n’est pas toujours simple, mais nous avons progressé dans la mutualisation de nos ressources et dans le partage d’expériences.
D-Magazine : Etes-vous capables d’évaluer l’impact de vos projets sur les recettes de l’Etat ?
De façon générale, la dématérialisation des procédures permet d’éviter les contacts entre les fonctionnaires et les usagers/clients. Elle garantit la transparence, permet de lutter contre la corruption et accroit les recettes. Sans pouvoir vous donner des chiffres très précis, ce n’est pas un secret ; la mobilisation des ressources dans les régies financières par exemple a beaucoup progressé ces dernières années et le digital y est pour beaucoup. A la Direction Générale des Impôts, la transparence fiscale et la dématérialisation des paiements ont favorisé le civisme fiscal. Le Système d’Encadrement des Missions Officielles de son côté a fait baisser quasiment de moitié les dépenses en la matière.
ll faut par ailleurs noter que le Bénin a été classé 8ème au niveau mondial et 1er en Afrique sur la transparence des dépenses fiscales. C’est vous dire que de nos jours, plus aucune réforme ne peut se passer du digital, même si tout n’est pas toujours quantifiable de façon monétaire.
D-Magazine : Vous êtes à la tête d’une DSI qui recueille un gigantesque nombre de données sensibles auprès de nombreuses structures. Parlez-nous un peu de l’organisation mise en place pour les analyser et produire des synthèses pertinentes pour les décideurs.
Votre question est plus que pertinente. La question de la donnée est aujourd’hui centrale dans nos préoccupations. Depuis trois ans maintenant, nous organisons chaque année une journée de la donnée dans le ministère pour faire de la sensibilisation sur le sujet. C’est vous dire qu’aujourd’hui nous avons compris que la donnée est pour nous un patrimoine stratégique. Depuis 02 ans maintenant, nous avons mis en place un entrepôt de données à la DGI. Il accueille les données relatives aux factures normalisées, à l’enregistrement des contrats, aux déclarations fiscales, etc. Aujourd’hui nous croisons déjà les données des régies financières pour mettre à disposition des inspecteurs des impôts des tableaux de bord qui répondent à leurs besoins. Pour aller plus loin, nous avons mis en place un projet spécifique dans la conception des tableaux de bord avec l’implication des métiers.
D-Magazine : Quels sont vos rapports avec la hiérarchie, dans quelle mesure êtes-vous force de proposition et comment se gère le compromis entre vos ambitions et les moyens mis à votre disposition ?
Vous me donnez l’opportunité de remercier le Ministre d’Etat Romuald Wadagni pour m’avoir convaincu de rejoindre ses équipes en 2017. J’avoue que j’étais un peu hésitant parce que la fonction publique n’a pas toujours bonne presse. Mais il y a tellement de challenges et de sujets à traiter qui impactent toute une nation. Aujourd’hui je dois reconnaître que c’est très excitant et ça donne vraiment du sens à une vie. Le Ministre d’Etat a deux qualités importantes : il comprend vite et il décide vite. C’est très facile pour le DSI que je suis. Comme il aime répéter lui-même : « moi je règle les problèmes ». Vous comprenez donc que lorsque vous travaillez avec lui, c’est à vous de proposer des projets pertinents. Comme je sais que ma hiérarchie est « orientée solutions » et très pragmatique, charge à moi de proposer le bon projet dans le bon timing.
D-Magazine : Quels sont les futurs projets sur lesquels vous travaillez que les béninois pourront bientôt apprécier ?
Nous avons encore beaucoup de challenges à relever. Nous sommes par exemple en train de travailler avec l’Agence des Systèmes d’Information et du Numérique (ASIN) sur la digitalisation de la chaîne de passation des marchés publics. Nous devons fluidifier les procédures avec le digital. Cela va faciliter la vie à tous les acteurs. L’intelligence artificielle doit par ailleurs rentrer dans l’ensemble de nos systèmes. Elle pourrait servir à faire de la détection de fraudes par exemple ou encore de l’aide à la prise de décision. Le champ des possibles est encore insoupçonné.
Enfin je terminerai par quelques sujets qui dépassent le DSI/ MEF que je suis, mais qui me semblent importants pour notre pays. Nous perdons actuellement des talents tous les jours dans le domaine informatique. Les agences et les ministères du pays sont tous impactés. Il faut faire quelque chose pour rendre disponibles plus de talents dans l’administration même si on ne peut pas totalement combattre le turnover. Le Bénin a jadis été qualifié de quartier latin. Devenons maintenant le quartier latin du digital. Nous devons encourager la création de quelques champions nationaux. C’est possible et c’est le moment. Accompagnons nos jeunes pousses avec la création d’un fonds spécifique à la dimension de nos ambitions. C’est une condition pour devenir la plateforme de services numériques de la sous-région que nous appelons de vœux.
Ecrit par : Abdias ATCHADE ( DSI SODECO) Olivier TOBOSSI ( RSI Mairie de Cotonou )